On raconte souvent que son nom viendrait de casta Nea, chaste Nea, car dans la mythologie une nymphe appelée Nea et appartenant à la suite de Diane préféra se donner la mort plutôt que de céder à Jupiter qui, pour se faire pardonner, la changea en arbre. Un arbre merveilleux aux fruits nourrissants, mais cachés sous un cocon d’épines…
Le châtaignier est un arbre majestueux qui a longtemps été essentiel dans la survie de plusieurs communautés. Pour cela, on l’a surnommé « arbre à pain. » Dans de nombreuses régions, le sort de la population dépendait presque entièrement des récoltes de châtaignes. Celles-ci sont très nutritives, qu’elles soient bouillies, grillées, séchées ou transformées en farine, et offrent une nourriture rustique, mais saine. Elles composaient le repas du pauvre et c’est peut-être pour cela qu’elles ont été délaissées par la suite. De nos jours, on les utilise surtout pour la confection de mets sucrés, elles ne sont plus « nécessaires » et la dégustation d’un plat traditionnel n’est plus que très occasionnelle. Pourtant, la châtaigne est restée associée à l’abondance, même si c’est dans une moindre mesure en comparaison des céréales. À la nouvelle année, quand les Corses souhaitaient leurs vœux, ils ajoutaient à la paix et la santé : « et que vous receviez trois châtaignes par bogue. » C’était un vœu de prospérité qui équivalait à souhaiter à ses voisins de ne manquer de rien. Aujourd’hui encore, trouver trois belles châtaignes charnues dans une même bogue est un signe de bonne fortune.
Ce que nous donne le châtaignier est l’essentiel, pas le superflu. Dans nos légendes, il est fréquemment conté que la Corse a reçu le privilège de n’être ni pauvre ni riche, ayant pour elle de tout, mais en petite quantité. Et cela je l’associe au châtaignier, l’arbre ni pauvre ni riche. Il a souvent dans notre culture un côté paternaliste, on l’associe à une image masculine de patriarche, mais son côté nourricier ne peut que rappeler un aspect féminin. Cependant, cette nourriture se mérite, on doit la chercher par-delà les épines des bogues et les deux peaux qui protègent la châtaigne. Le châtaignier nous pousse à voir au-delà des apparences et à ne pas ménager nos efforts dans la vie.
C’est un arbre imposant et pourtant discret, véritablement majestueux et qui semble toujours garder une certaine réserve. Comme ses fruits, il se protège. Il symbolise à la fois la protection divine, de par son aspect de patriarche, ainsi que l’équité, l’honnêteté et la justice, mais aussi le fait de ne jamais céder, comme Nea. On invoque toujours son aide dans ces domaines, ainsi que pour ne manquer de rien, et pour peu qu’on soit sincère et respectueux, on est sûr de l’obtenir aussitôt. Qui trouve refuge auprès d’un châtaignier recevra toujours sa bénédiction. On peut s’endormir en toute sécurité dans le creux de ses racines et attendre de lui une réponse honnête à chaque question. Le châtaignier ne vous facilitera pourtant pas la vie, il attend de vous des efforts et de la constance, mais l’essentiel il l’offrira toujours si vous savez aller chercher sous les épines.
Dans un sac de sorcière, son bois apporte le courage et la ténacité, il inspire la constance, la prévoyance, offre la lucidité, la capacité de tenir ses engagements et de mener à bien ses ambitions, il aide à tenir dans les moments difficiles ; ses fruits, quant à eux, offrent l’assurance de ne jamais manquer de l’essentiel. Et quand on veut que quelque chose fructifie, on doit le laisser en offrande au pied d’un châtaignier. De ses bogues aussi on peut faire un usage magique. On en place près de l’entrée de la maison et ils dévient le mauvais sort, on peut aussi y enfermer un papier sur lequel est noté ce que l’on souhaite protéger. Les feuilles, conservées dans la cuisine, permettent de ne manquer de rien. On en use aussi plus trivialement pour emballer les fromages de chèvre ou encore comme support de cuisson pour des mets traditionnels auxquels elles transmettent une saveur très particulière. Le miel de châtaignier doit aussi avoir sa place dans toute bonne cuisine de sorcière. C’est un miel de couleur très foncée et au goût très fort, il est, justement pour cela, excellent pour la pâtisserie, mais il est surtout très utile pour lutter contre les coups de froid hivernaux.
Sara Strega